Le dernier relevé du conseil des ministres du jeudi 28 avril 2016 au Bénin a révélé un niveau d’endettement relativement important du pays. Plus de 2000 milliards de FCFA et si on rajoute le programme de préfinancement sur budget national des routes, on dépasse les 3000 milliards de FCFA, soit deux à trois fois le budget réel de l’Etat.
Ce niveau d’endettement semble très important même s’il reste contenu dans les ratio de convergence et de performance édictés par l’UEMOA ( Union Economique et Monétaire Ouest Africaine).
Ce n’est pas tant le montant qui poserait problème mais la qualité de l’endettement, autrement dit le coût de la dette et l’affectation de celle-ci.
Mais point n’est besoin dans le présent article d’épiloguer sur cette question.
Comment l’Etat peut il poursuivre son programme de financement de la croissance sans continuer à détériorer sensiblement les indicateurs de performance économique?
Quelles alternatives innovantes pour poursuivre malgré tout le programme de construction et de développement du pays ? ( énergie, agriculture, chômage des jeunes….)
Les mécanismes de la dette de nos pays en développement sont principalement basés sur des taux d’intérêts imposés par les bailleurs de fonds internationaux, toutes choses qui ont conduit dans les années 1980 aux mesures d’ajustement structurels et plus tard à l’initiative PPTE ( Pays Pauvres Très endettés ).
Face à toutes ces mesures dont l’efficacité sur la dette s’est montrée parfois désastreuse, il est question de trouver des solutions alternatives au financement traditionnel ; ce sont les financements innovants.
Certains de ces financements n’ont pas ou ont peu d’impact sur la dette publique car opérant directement sur l’économie réelle, d’autres ont pour effet de limiter l’endettement public.
Je propose ici deux outils innovants de financement du développement : le premier n’est rien d’autre que l’émission d’un SUKUK comme outil de mobilisation des fonds islamiques; le deuxième est un outil de mobilisation de l’épargne de la diaspora au moyen entre autre du crowdfunding encore appelé financement participatif.
Dans cette publication, je traiterai exclusivement de l’émission d’un SUKUK comme moyen de capter des fonds dormant dans les pays du Golfe Persique ou autres fonds à la recherche de financements éthiques.
QU EST CE QU UN SUKUK
Le terme SUKUK (pluriel de Sakk ) est un mot arabe. Ce sont des titres financiers ou certificats d’investissements adossés à un actif et rémunérés en fonction des flux de trésorerie générés par ces actifs sous jacents.
Les standards de l’AAOIFI (Accounting and Auditing Organization for Islamic Finance Institutions) définissent les SUKUK comme « des titres de même valeur nominale représentant des parts indivises en propriétés de biens, de droits d’usufruit, de prestations de services ou des actifs d’un projet identifié ou d’une activité privée spécifique».
Les SUKUK représentent donc une part de copropriété des biens destinés à l’investissement, qu’ils soient des biens tangibles, des droits d’usufruit, des prestations de services ou une combinaison de ceux-ci.
Conceptuellement, ces titres ne doivent pas porter intérêt même si les émetteurs pour des raisons concurrentielles sont amenés à proposer des taux de rémunération cibles.
Les SUKUK sont des équivalents en finance conventionnelle de titres obligataires.
Leur singularité par rapport aux obligations en sphère conventionnelle réside dans le fait qu’ils confèrent à leurs détenteurs une part de copropriété sur les investissements.
Ils peuvent être ASSET BACKED et dans ce cas ils ressemblent à des ABS ( Asset backed securities) connus sur les marchés financiers conventionnels. A ce titre, ils confèrent à leurs détenteurs un droit de propriété sur les actifs sous jacents. La rémunération du principal et des coupons est fonction des flux générés par l’actif.
Dans ce cas, en cas de faillite éventuelle de l’émetteur, les porteurs de SUKUK deviennent propriétaire des investissements, objets de l’émission de titres.
Rappelons qu’en financement islamique, le principe de tangibilité implique qu’il y ait toujours un actif dans le courant de la transaction financière.
Les SUKUK peuvent aussi être ASSET BASED
Dans ce cas, les détenteurs de titres ont uniquement droit aux flux financiers générés par l’actif sous jacent et ne sont pas propriétaires de l’actif.
Leurs rémunérations de ce fait est garantie par une tierce personne, disons l’Etat s’il intervient comme générateur du SUKUK.
Dans l’espace UEMOA ( Union Economique et Monétaire Ouest Africaine ), les SUKUK se structurent légalement au moyen d’un Fonds Commun de Titrisation de Créances.
Les Fonds Commun de Titrisation de Créances sont régis par le Règlement N° 02/2010/CM/UEMOA relatif aux fonds communs de titrisation de créances et aux opérations de titrisation dans l’UEMOA.
Ce règlement défini d’ailleurs la titrisation comme étant l’opération par laquelle un Fonds Commun de Titrisation de Créances acquiert, soit directement auprès de tiers cédants, soit par l’intermédiaire d’un autre organisme habilité pour ce faire, des créances, ainsi que les sûretés, garanties et accessoires y afférents, en finançant cette acquisition par l’émission de titres négociables représentatifs d’un intérêt pro rata dans l’actif du fonds, dont la souscription et la détention est ouverte aux investisseurs qualifiés ou au public.
POURQUOI UN SUKUK POUR FINANCER LES PROJETS D INFRASTRUCTURES DU GOUVERNEMENT DU NOUVEAU DEPART
De façon générale, nous retenons que les outils de financement islamiques par leur principe d’interdiction de l’intérêt, exposent moins nos Etats au risque de surendettement.
Il est de notoriété publique que le service de la dette, c’est à dire l’intérêt , constitue le principal facteur multiplicateur de la dette des pays en développement.
Le sociologue suisse Jean Ziegler rappelait que « l’aide publique au développement ( APD ) fournie par les pays industriels du Nord aux 122 pays du tiers-monde s’est élevée à 88 milliards de dollars en 2012. Durant la même année, ces derniers ont cependant transféré aux banques du Nord une somme supérieure au service de la dette »
L’artiste argentin, Prix Nobel de la Paix Adolfo Perez Esquivel déclarait en janvier 1999, « la dette extérieure des pays du Tiers-Monde est une Dette éternelle, un Tribut, comme au temps des colonies »
Nous affirmons qu’il est tout à fait possible de sortir de cette spirale de la dette en utilisant les instruments qu’offre la finance islamique, une finance sans intérêt au sens conventionnel du terme.
Ensuite, le recours au SUKUK n’est rien d’autre qu’un moyen de diversification de nos ressources qui, de nos jours sont principalement tributaires de l’aide des bailleurs de fonds traditionnels : la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International et d’autres bailleurs bilatéraux.
Diversifier nos sources de financement apporte une qualité de la dette parfois moins chère en comparaison à la dette basée sur l’intérêt spéculatif.
Un endettement trop important du Bénin, l’expose à un coût de la dette encore plus élevé, le risque étant jugé plus important par les marchés financiers conventionnels.
Enfin, puisque les besoins à financer sont vastes ( énergie, agriculture, unités de transformations, routes, écoles, NTIC….), il ne faudrait négliger aucune piste de mobilisation des financements.
COMMENT FONCTIONNE LES SUKUK
L’Etat ou tout autre entité publique ou privée crée une structure adhoc appelée dans le jargon financier SPV ( Special Purpose Vehicle ) comme émetteur des SUKUK.
Comme cela a été précisé plus haut, la réglementation dans l’espace UEMOA nous oblige à constituer un Fonds Commun de Titrisations des Créances ( FCTC) qui jouera le rôle de SPV.
L’Etat béninois par exemple signera plusieurs contrats de services avec le FCTC.
Un premier contrat par lequel l’Etat vendra au FCTC l’usufruit d’actifs générant des liquidités périodiques ( ce peut être des bâtiments administratifs ou des terres sécurisées et exploitables, l’avion présidentiel, etc … en tout cas des actifs souverains ).
Le produit de cette vente d’usufruit au FCTC permettra à l’Etat de financer les infrastructures et autres programmes de développement ( financer le développement de l’agriculture par exemple).
Le FCTC aura au préalable reçu les souscriptions des cibles potentielles ( grand public et principalement des pays du GOLFE Persique et autres investisseurs sensibles à ce type de titres) pour acquérir auprès de l’Etat l’usufruit des actifs précités.
Un deuxième contrat de location par lequel le FCTC mettra en bail à différents démembrements de l’Etat ou autres, les actifs détenus pour en obtenir des loyers.
Ces loyers permettront de rémunérer périodiquement les détenteurs de SUKUK.
Un autre contrat à travers lequel l’Etat s’engagerait auprès du FCTC à lui racheter à maturité les actifs précédemment cédés afin que le produit de cette vente permette au FCTC de rembourser le principal aux détenteurs des SUKUK.
Entre temps, les fonds auront servis aux investissements prévus et auront produits les fruits escomptés.
A-T-ON DES EXEMPLES DE FONCTIONNEMENT DE CE MECANISME AUTOUR DE NOUS
L’intérêt pour ce type de financement est croissant depuis la crise financière internationale qui a mis en lumière la finance islamique en raison de son caractère non spéculatif et ancré dans l’économie réelle.
Fort de son taux de croissance soutenu à deux chiffres avec des actifs estimés par les spécialistes à plus de USD 2000 milliards, sa grande performance ne pourrait qu’attirer les acteurs financiers.
Comptant déjà cinq banques islamiques et plusieurs fenêtres islamiques, Londres a émis en 2014, des SUKUK d’une valeur de 200 millions de livres pour une demande de la part des investisseurs des pays du Golf qui serait estimé à plus d’un milliard.
Plus près de nous, en 2014, le Sénégal a fait son entrée dans ce club des émetteurs souverains de SUKUK avec une émission de 100 milliards de FCFA. L’Afrique du Sud quand à elle a pu lever USD 500 millions ( deux fois plus que Londres ) tandis que la Côte d’ivoire a finalisé en 2015 son premier plan de mobilisation de 150 milliards de FCFA sur un total de 300 milliards de FCFA prévus de SUKUK.
Le fonds mobilisés ont servi au financement des projets de développement économique et social tandis que des immeubles administratifs ont servis comme actifs sous jacents à ces opérations.
Dans la sphère privée, il existe de nombreux cas d’émissions de SUKUK qui ont permis de financer des infrastructures lourdes.
De nombreuses compagnies aériennes acquièrent leurs avions par émission de SUKUK.
C’est le cas de la compagnie aérienne EMIRATES qui en 2015 a mobilisé USD 913 millions pour renouveler sa flotte.
Le conglomérat Americain GENERAL ELECTRIC a conclu le premier SUKUK américain en 2009 en levant UDSD 500 MILLIONS. La rémunération était basée sur la location d’avions du groupe aux compagnies aériennes.
En France, TOTAL, GDF-SUEZ, RENAULT ont plusieurs fois fait recours aux SUKUK pour réaliser des centaines de millions d’investissements au Moyen Orient.
En 2012, AL FAROOJ a finalisé l’implantation de son premier restaurant en banlieue parisienne par un premier plan de mobilisation de 500 000 euros sous forme de SUKUK.
QUELLES RETOMBEES SONT ATTENDUES POUR LE BENIN
Le lancement d’un programme de SUKUK mettra indubitablement le Bénin sur orbite et marquera un signal positif ( publicité sur la destination Bénin ) pour l’attrait d’un nouveau type d’investisseurs sensibles à ce type de produits ( diversification).
La conséquence sera un accroissement de financements indirects liés à la participation des ces « nouveaux investisseurs » qui pourront explorer d’autres opportunités de financement tant au moyen de SUKUK ou en utilisant d’autres mécanismes de financement ( banque, institutions de microfinance, fonds d’investissement,, assurance…)
Partout dans le Monde l’heure est à la diversification de ses rapports. Cette stratégie permet de bénéficier d’approches nouvelles, de rapports de type nouveau, de ressources de bonne qualité, plus responsabilisantes, plus éthiques.
NB:
La finance islamique n’est pas une finance confessionnelle, c’est un compartiment de la finance dite éthique. La finance éthique se caractérise par une prise en considération des facteurs extra financiers dans sa conception, ses principes et son action.
La finance islamique interdit l’intérêt et la spéculation, elle exclut certains secteurs non éthiques ( tabac, armement, pornographie, alcool,….) de son champ d’application mais prône par contre le partage des pertes et des profits et la tangibilité des actifs.
Le Bénin, pays membre de l’Organisation de la Conférence Islamique ( OCI) et de la Banque Islamique de Développement ( BID) ne tire pas suffisamment profit de son appartenance à ces institutions, faute de ressources humaines qualifiées dans le domaine.
On regrettera que durant tout leur parcours académique, les cadres financiers n’aient jamais appris, ne serait-ce que des bribes de la finance islamique, cette discipline qui est sujet à beaucoup de connotations négatives par ignorance simplement.
Et pour paraphraser Chafik Chehata « en matière de droit des obligations, le droit musulman perd son caractère religieux »
Et moi de d’affirmer que je crois à la microfinance comme outil de réduction de la pauvreté et à la finance islamique comme moyen d’accélération de la croissance des pays en développement
Alors ! Le Bénin osera t – il franchir le pas de la finance islamique ?
Les années à venir nous édifieront
Maxime Sèwanou Dossa,
Directeur DM CONSULTING
Consultant financier, expert en finance islamique
( www.dmconsulting-france.com)
Je souscrit à cette vision ; il nous faut explorer ce type d’investissement pour encore plus d’impact dans la microfinance , et bien d’autres domaines . Le Bénin peut en vertu des normes peut toujours s’endetter mais à quel prix ?
Si la Finance Islamique peut permettre la captation d’autres types de financements sans intérêts alors , le choix devrait être facile .
Espérons , que les dirigeants comprennent le bien fondé de ce type de financement , au profit des prêts bilatéraux à des taux élevés .
Mais je me demande si nous pouvons véritablement nous départir de ses prêts onéreux ? ou qu’il faudrait juste procéder à une diversification des sources de financements .